Ça va être Beau!
La soumission avait été faite pour 2 artistes, soit moi et Bruno Santerre, qui exposerait par la suite. L’idée était de pouvoir utiliser deux espaces de galerie adjacents séparés par un mur pivotant que je pourrais ouvrir et fermer au besoin. L’une des salles servirait à la production tandis que l’autre serait utilisée pour la mise en espace des œuvres. De plus, des rencontres avec le public étaient prévues chaque vendredi pour échanger sur la progression du travail.
Contrairement au contrat initial de seule exposition, l’avantage de la nouvelle formule était de pouvoir utiliser tous les outils disponibles au centre pendant toute la durée du travail (une cinquantaine de jour) pour expérimenter. J’avais déjà quelques idées en tête, mais je préférais tout de même laisser de la place à l’exploration de ces nouveaux médiums.
Une chose était cependant certaine, Le Bonhomme BSL serait le centre de cette nouvelle exploration! Ce que j’aime du personnage c’est qu’il me donne la liberté d’explorer d’autres avenues qui ne concordent pas nécessairement avec la forme de mon travail céramique. Je crois cependant que la démarche demeure la même. Cela en fait donc une force qui me permet justement de me libérer temporairement de la production matérielle. Il faut dire que l’exposition tombait en même temps que les élections municipales et, exceptionnellement, celles fédérales. La campagne électorale fut donc un point de départ, et il me vint en idée alors ce slogan politiquement juteux que je trouvais à point pour le titre de l’exposition; “Ça va être Beau!”. En plus de faire une promesse sur une chose dont je n’avais pas même idée du résultat final, la lecture que l’on pouvait en faire se trouvait à être double. Ce projet serait-il beau? Ou alors est-ce assez?
Je vous épargne une grande partie du processus conceptuel et technique qui partit de la réalisation de deepfake à l’effigie du Bonhomme BSL (le logiciel ne reconnaissait pas son visage comme étant un visage...!) en passant par un party de Bonhomme (projet à venir...?) pour finalement se fixer sur la fragmentation de projection vidéo des rêves du Bonhomme BSL. Je me mis donc à faire des tests pour vérifier l’application du concept. Comment pourrais-je matérialiser les rêves du Bonhommes BSL?
J’ai d’abord testé plusieurs médiums de réflexion et de réfraction comme un pot d'pickle, mais c’est le miroir qui s’avéra être le plus efficace pour la tâche. Puisque je souhaitais projeter de la lumière sur l’ensemble des murs et que des fragments de la même image puissent se trouver sur plusieurs murs, il me fallait utiliser un support cylindrique. Le sonotube, un tube qui sert à mouler des colonnes de béton, était exactement ce qu’il fallait. De plus, ne l’oublions pas, le béton est l’un des matériaux favoris du Bonhomme BSL! De surcroit, ces tubes portaient l’inscription Bomix! N’est-ce pas Beau tout cela!
Encore fallait-il pouvoir les accrocher! Après avoir fait des tests avec les miroirs en mouvement, il devint rapidement clair que le tube devrait être fixé, autrement le mouvement de la vidéo était annulé par celui des réflexions, ce qui n’était pas l’effet recherché. De plus, il fallait solidement attacher le tout afin d’assurer une stabilité et une permanence à l’emplacement choisi pour les fragments de projections.
Voici donc le système: des 1’’x3’’ qui tiennent les sonotubes sur lesquels sont collés des fragments de miroir. Ceci dit, l’emplacement des fragments subséquents a été décidé après l’installation des tubes et l’orientation des projecteurs, de manière à répartir consciemment et non aléatoirement les images sur les murs.
Mais encore fallait-il projeter des vidéos? Quels seraient-ils? Je suis donc parti en cueillette et en production, mettant en scène le Bonhomme BSL dans diverses situations et filmant simplement certains éléments que je trouvais appropriés. Après de multiples tests, je me rendis compte que j’étais mieux de réaliser des vidéos à la première personne, en mode contemplatif. Je me mis donc à collecter des séquences sans m’imposer de filtres. J’avais déjà remarqué que les couleurs franches étaient les plus efficaces, et que ce n’était pas nécessairement les choses les plus délicieuses qui allaient constituer son rêve.
Parce qu’un rêve peut être une ambition, mais un cauchemar est aussi un rêve, simplement s’agit-il ici de son penchant négatif. Certaines images sont belles, mais revêtent une signification tout autre lorsque l’on sy attarde. Comme ici les fruits du Cormiers, si jolis dans le bleu du ciel, mais hautement toxique à la consommation humaine. Il en va de même avec cette superbe lumière jaune, qui était en fait un gros plan dans des mouches en agonie dans du ruban à mouche. Cette séquence m’a d’ailleurs été inspirée par une rencontre avec un personnage fort désagréable que j’avais eu quelques jours auparavant.
Et puis il fallait aussi casser l’espace et le rendre dynamique. Mon souhait en créant cette exposition était de sculpter la lumière, un peu comme James Turell et Dan Flavin le font. La première étape était donc de doter l’espace de surface à angles qui empêcheraient le spectateur de comprendre l’espace d’un seul coup d’œil. Pour le comprendre, il faudrait s’y déplacer, l’intégrer.
L’effet obtenu était intéressant et intrigant, mais toujours insuffisant. On pouvait déjà se perdre dans l’espace et admirer longtemps les images en mouvements et tenter de les reconstruire pour leur donner un sens, mais la lumière n’était pas encore “sculptée”. Elle était simplement projetée sur différents plans. Certes, cela la rendait tridimensionnelle, mais pas encore sculpturale. J’ai alors eu l’idée d’ajouter de la fumée. En fait je souhaitais intégrer des objets et en fouillant dans le tas de métal que j’avais récupéré au long de l’été, je me suis arrêté sur une vieille tank à pression d’eau. Je me suis dit qu’elle serait parfaite dans l’espace si je pouvais la faire fumer. Une machine à boucane plus tard et un peu de fidling, le tour était joué! J’avais de la fumée dans l’espace qui était programmée pour sortir pendant 2 minutes à chaque 10 minutes.
Ce qu’apporta la fumée c’est justement cette capacité de voir et sculpter la lumière. Les rayons projetés étaient maintenant visibles et on pouvait voir toutes leurs courses, en partant des projecteurs, frappant les miroirs, puis se réfléchissant dans toutes directions pour aller colorer les surfaces blanches et planes.
Comme je suis sculpteur, ce nouvel objet dans l’espace me fit en souhaiter d’autres. J’avais gardé en tête la proposition d’utiliser des boîtes lumineuses du centre pour y présenter des images backlit. Le format des boîtes non utilisé était cependant inusité, et il me fallait penser à l’image qui pourrait bien la recouvrir. Après plusieurs essais, je me suis résolu à choisir celle-ci, que j’ai déclinée en plusieurs couleurs et orientations. Pouvez-vous identifier de quoi s’agit-il?
Mais le Bonhomme BSL n’était encore présent que comme si on était lui, en première personne. Je souhaitais tout de même le présenter, c’est alors que j’ai eu l’idée de le présenter, comme endormi dans un coin de la salle. J’avais plusieurs vidéos de lui, de toutes sortes, mais finalement, j’en ai choisi un dans lequel on le voit, comme endormi (ou mort? selon visiteurs). Il s’agit en fait d’une vidéo de lui, que j’avais mise sur pause, dans une TV. C’est à ce moment où je me suis rendu compte qu’une image fixe dans une TV, ça dérange. Les gens s’y amassaient et me demandaient: va-t-il bouger? Est-il endormi? Est-il mort? Tout est encore dans l’attente, dans l’ “expectation” comme il disent en anglais.
Finalement, il fallait un accompagnement sonore pour cette installation. Depuis que les vidéos étaient projetées, j’en avais déjà installé une. Quatre haut-parleurs actifs placés à chaque coin de la pièce et un subwoofer lançaient en boucle une compilation de bruit de train d’une vingtaine de minutes. Pourquoi le train? À vous de vous en faire une idée, mais il est évident pour moi que le train et le sommeil sont intimement liés. Certains spectateurs m’ont fait part d’ailleurs qu’on avait l’impression que quelque chose allait arriver, sans que rien n'arrive en raison de la trame sonore. Vers la fin de l’exposition, j’ai débuté une autre trame sonore qui reprendrait les mêmes patterns que celle qui était proposée, mais en utilisant des instruments de musique tels que keyboard, guitare et harmonica. Celle-ci ne fut pas terminée en temps, mais il s’agit d’une belle amorce pour un futur projet. C’est bien là aussi le but d’une résidence, et en fait, de toute expérimentation artistique; le voyage et non la destination.
À plus tard Bonhomme, dors bien, on se revoit sous peu.
Je vous laisse sur la vidéo que j’ai produite résumant l’exposition-résidence, et j’espère qu’à la lecture de ce texte, vous aurez d’autant plus de questions qu’auparavant.
Remerciements:
Je remercie Nathalie Dion qui a été de support tout au long durant en brassant mes idées, en m’aidant à leur donner former ainsi qu’en faisant une partie de la reprographie!
Je remercie également François Wells pour m’avoir proposé le projet d’une résidence qui s’est ajouté à mon exposition déjà programmée et pour avoir fait une superbe affiche!
Un grand merci aussi à l’équipe d’Espace F et Mathieu pour l’impression ainsi que pour une partie de la reprographie.
Finalement un grand merci aux visiteurs avec qui j’ai pu échanger et faire avancer ma pratique!